20 mai 2017

Lecteurs de métro

Prendre le métro. Ni pour la première, ni pour la dernière fois. Descendre dans les couloirs, longer les murs au milieu des affiches colorées. Trouver le bon quai.
Et, les yeux rivés sur ces chiffres lumineux, attendre.
Puis laisser dériver mon regard autour de moi. Il y a ce couple avec ses valises et ses billets de train à la main. Et cette fille, blonde, les écouteurs bien en place, qui avance presque en dansant, les yeux à demi fermés, ses lèvres esquissant malgré elle les paroles qui résonnent dans sa tête. Elle vit comme dans une comédie musicale.
Sa bonne humeur fait monter les sourcils et les remarques ironiques. Je la trouve parfaite.
Le bruit des wagons couvre la mélodie qui l’entraîne et déjà les portes s’ouvrent dans un claquement. Merci de laisser descendre avant de monter. La marche est haute, il n’y a pas de place.


Sauf là.

A côté de lui.

Il est appuyé contre l’autre porte, celle qui n’ouvre jamais. A ses pieds, un sac militaire. Dans ses mains, un livre.
S’appuyer dans le coin, sortir ma liseuse. Jeter un coup d’œil sur les pages jaunies et cornées. Un livre inconnu. Il en est bientôt à la fin. En guise de marque page, glissés contre la couverture, un billet de train pour Marseille. Ses yeux s’égarent vers moi, un sourire semblable au mien se dessine sur ses lèvres.

Reconnaître un lecteur.

J’incline légèrement mon écran, mais sur une Kobo le titre ne s’affiche pas, et je lis en anglais. Le métro s’arrête déjà à la station suivante. Les mots défilent devant moi et je me laisse absorber. Quelqu’un commence à chanter. Une belle voix, un ténor qui reprend un opéra en italien à l’autre bout de la rame. Je le cherche du regard, et le lecteur aussi. Nous baissons ensemble les yeux sur nos livres respectifs. De la belle musique pour accompagner la lecture commune.
Le chanteur nous enchante pendant quatre stations, puis descend, la poche un peu plus lourde de la générosité des mélomanes.

La lecture reprend. On attaque mon héroïne et je sursaute. Je le sens amusé de lire mes réactions.
Le métro ralentit. Il ferme son livre. Le métro s’arrête. Il attrape son sac. Le métro s’ouvre. Il sort.

Fin de l’acte.

Je me sens seule.
Il ne s’est pas retourné.

Tant mieux.

L’anonymat du lecteur est sa quatrième de couverture : un aperçu suffisant pour l’aimer ou non.

Merci, ami lecteur. Et à bientôt, sous un autre visage, dans une autre ville, avec un autre livre.

Je lirai encore.

6 commentaires:

  1. Wouah ... Cet article sonne comme un passage de roman. C'était génial et j'ai beaucoup aimé le lire ! Très poétique aussi. Merci pour ce petit moment de magie. ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci à toi de l'avoir lu :) je voulais essayer un format différent et je suis contente qu'il t'ai plu !

      Supprimer
  2. J'aurais tant aimer qu'il se retourne et que ce visage est un nom !
    L'écriture est belle, j'espère pourvoir en lire d'avantage très bientôt ... ;)
    Bisous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Crois moi, sur le moment j'avais bien envie qu'il se retourne aussi ;) je suis contente que ça te plaise, je vais continuer dans cette veine alors !
      Bisous !

      Supprimer
  3. De passage sur ton blog, je ne peux me retenir de laisser un petit commentaire pour te dire combien j'ai trouvé ton texte touchant...
    Et joliment écrit!

    RépondreSupprimer