29 mai 2020

Joël et moi - L’Énigme de la chambre 622

Un certain nombre de mes proches vous le diront, dans ma vie en ce moment, il y a deux hommes : Joël et Alexis. 
Alexis, je vous en ai déjà parlé, plusieurs fois. Et j'espère pouvoir continuer à vous en parler longtemps. (Ndlr : Alexis Michalik, auteur, dramaturge, comédien, acteur et réalisateur)
Joël, c'est différent. Tout a commencé quand la "dame du CDI" a conseillé à sa plus fidèle cliente, en classe de terminale, un roman qui venait de sortir. "Tu vas adorer, j'en suis sûre". Sceptique, parce qu'après avoir lu L'Enchanteur de Barjavel la lycéenne ne rêvait plus que d'épopée arthurienne, elle suit quand même la recommandation et emporte un pavé dans son Longchamp marron. 
Le lendemain, yeux cernés mais pleins d'étoiles, elle rapporte le volume au CDI. 
"Je l'ai dévoré". 
La Vérité sur l'Affaire Harry Québert, publié en 2012 aux éditions de Fallois. Coup de tonnerre dans le paysage littéraire francophone. L'auteur est jeune, beau, Suisse et complètement sympathique, il rafle le grand prix du roman de l'Académie française, le Goncourt des lycéens, passe à la grande librairie. Il s'appelle Joël Dicker, et entre lui et moi, une belle histoire vient de commencer. 


Pourquoi Joël ? L'Affaire (comme l'appellent simplement les fans) est le premier roman de littérature contemporaine que j'ai lu de ma vie. Dans mon historique de lectrice, c'est lui qui m'a fait devenir majeure, si vous voulez. Chaque relecture s'est terminée les yeux exorbités et un mal de crâne d'avoir lu pendant des heures, la gorge nouée de multiples émotions et surtout une déchirure profonde à l'idée de tourner la dernière page, d'abandonner Harry, Marcus et Nola, de quitter la ville d'Aurora et de devoir retourner au temps présent. Tout dans ce roman me fait vibrer, car tout y est vivant à mes yeux.  
Puis il y a eu Le Livre des Baltimore, et excepté l'émerveillement et la surprise qui ont accompagné ma découverte de l'Affaire, j'ai retrouvé cette sensation de vie intense, cette impression qu'en tournant la tête je découvrirai assis dans ma chambre les personnages du roman et que nous deviendrions les meilleurs amis du monde. 
Et j'ai découvert que Joël avait écrit un autre roman. Bien avant. Avant l'Affaire. Un roman historique, sur la Seconde Guerre mondiale. Je n'aime pas les romans historiques, surtout sur la Seconde Guerre mondiale. J'en ai trop lus, je suis dégoûtée du genre. J'y reviendrai sans doute un jour. Mais Les Derniers Jours de nos pères fait partie de mes œuvres préférées, je pense pouvoir l'inclure très facilement dans un top 10. Parce que ce livre parle des Hommes, de nos pères, de nous. C'est une ode à la faiblesse humaine, dans tout ce qu'elle a de magnifique. 

Pour la sortie de La Disparition de Stephanie Mailer, j'ai fait quatre heures de queue pour avoir une dédicace et échanger deux mots balbutiants, la voix tremblante, avec Joël. Une vague de déception m'a envahie à la lecture, une fois rentrée chez moi et remise de mes émotions. Un sentiment de déjà vu mal réchauffé, où si l'intrigue m'a happée sans problème, les personnages ne m'ont pas interpellée. C'était un roman....comme beaucoup d'autres. Un bon moment de lecture, sans plus. 

Et avec un mois de retard, confinement oblige, je me suis retrouvée le matin de la sortie chez mes libraires préférés. Je suis rentrée chez moi, toute tremblante à l'idée de rencontrer de nouvelles personnes, de voyager en Suisse, puisque l'intrigue se passe à Genève, de vivre de nouvelles aventures au creux des pages. 

L'énigme de la chambre 622 - Joël Dicker, éditions de Fallois, 569p.


L'histoire :
Coeur brisé, en quête de dépaysement, l'Ecrivain se prend quelques jours de vacances. Dans un hôtel vaguement luxueux, on lui attribue la chambre 621, voisine de la chambre 620 et de la chambre... 621 bis. Deux questions, une réponse évasive plus tard, il le sait : il y avait une chambre 622. 
Des années auparavant. Ce même hôtel. Tous les ans, il accueille en mettant petits plats dans les grands, la totalité des employés de la banque Ebezner. Et cette fois-ci, précisément, l'enjeu est de taille pour tous : le Conseil d'administration doit annoncer le résultat de l'élection du nouveau président-directeur-général. Deux candidats sont en lice. Ils sont collègues, collaborateurs, amis de longue date, et profondément rivaux. L'héritier du nom, Macaire Ebezner, dont on admire la prestance, surtout quand sa femme est à son bras, et le plus efficace des banquiers, Lev Levovitch, au charisme sans bornes. 
L'enjeu est de taille, et la soirée un fiasco !

Mon avis :
J'ai à la fois beaucoup à dire sur cette lecture, et en même temps j'y ai tellement pensé que mon opinion pourrait être résumée en deux phrases. Et comme un des reproches majeurs que je ferai à L'Enigme est de tellement diluer son intrigue qu'on s'y noie, allons à l'essentiel. 
Ce roman est un roman d'intentions. Il est écrit pour servir un but, et non pour lui-même. Donc, ça ne fonctionne pas. 
Ce qui ressort de la presse (=publicité), c'est que Dicker a voulu rendre un double hommage. D'abord, à son pays, la Suisse, où pour la première fois il situe son intrigue, puisque jusqu'ici il nous avait embarqués aux Etats-Unis d'Amériques, en France, au Royaume-Uni et en Russie. Ensuite, à son éditeur, Bernard de Fallois, décédé en 2018. 
Malheureusement, ça ne prend pas. Entendons nous bien, tous les passages où il parle de Bernard sont beaux, bien écrits, rendent parfaitement compte de ses sentiments à l'égard de cet homme et de l'amitié qui les a liés. Mais dans ce roman, ils font tache, sortent le lecteur de l'histoire, détournent son attention au point qu'on ne sait plus très bien ce qu'on est en train de lire (une fiction ? un dialogue intérieur entre l'auteur et son double qui lui permet de faire son deuil ? un ouvrage thérapeutique pour surmonter la mort d'un proche ?).  

Ce que j'ai le plus regretté dans cette histoire, c'est que justement l'histoire est bien. Elle est même très bien. Le mystère de la chambre 622 est prenant, intrigant, complexe. Il met en scène des passions très humaines - l'amour, l'argent, l'amour de l'argent, le pouvoir, la famille - et des personnages aux profils variés et intéressants. Et pourtant, ça ne fonctionne pas. Déjà, on se perd dans la chronologie. Trop d'époques, trop de faits sans importances qui prennent trop de place, trop de points inutiles. Les détails qui remplissent des chapitres entiers pour nous faire entrer à travers leur passé dans l'intimité des personnages m'ont emplie de confusion. Car l'autre gros problème, ce sont les personnages. Au centre de l'intrigue, ils sont trois. Macaire, Lev et Anastasia. Et aucun d'entre eux n'a de sens à mes yeux. Macaire est défini par sa femme comme la gentillesse et le dévouement incarné :  l'intrigue le montre prêt à tout pour arriver à ses fins. L'histoire douloureuse d'Anastasia en fait une battante farouchement accrochée à ses rêves : le roman la rend manipulable, effrayée et inconstante. Le passé compliqué de Lev nous dévoile un homme profondément bon et tourné vers les autres : son rôle est purement manipulateur et sarcastique. Les seuls personnages à qui j'ai trouvé de la consistance et de la cohérence sont complètement secondaires, appartiennent à des intrigues à peine survolées alors que leur exploitation rempliraient les pages qu'on aurait pu vider d'un contenu inutile et ennuyeux. 

C'est le premier Dicker que je n'ai pas lu d'une traite. Même à la relecture, ni L'Affaire ni les Derniers Jours ne se laissent mettre de côté. L’Énigme a beaucoup de qualités, son intrigue, le milieu où elle se place, les relations entre les personnages... Mais pour moi, ça ne l'a pas fait. J'espère qu'elle rencontrera son public, il serait dommage que Joël s'arrête d'écrire. Pour le moment, lui et moi, we're on a break. Je serai ravie de me replonger dans nos souvenirs communs, et quand l'occasion se présentera de tenter un autre premier rendez-vous, mais pour le moment on va en rester là. 


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